« Un pinceau lumineux et vertical qui ne dépeint rien, un panneau horizontal et vaguement éclairé qui dépeint un ciel vide : la scène effacée de notre histoire coloniale ne devrait donc déranger personne. » Philippe Hourcade
21mètres39, le tableau immense d’Horace Vernet commandé par Louis Philippe se cache dans les salles dites d’Afrique. La plupart du temps il est recouvert et on ne peut le voir. Voir le sud dans l’aile nord du château, l’Algérie est plongée dans la nuit, enveloppée par le silence ici. Patrick Hourcade
LA CHAPELLE ROYALE
Voix de Patrick dans la nuit : « Trop de lumière, ici ! » Cela me fait souvenir de certain vidame de Chartres âgé de quinze ans, notre Saint-Simon à venir, quand il décrit l’abbatiale de Saint-Denis : « Une grande nef, quoique sombre, n’en paraît que plus belle étant fort propre à inspirer la dévotion ». Philippe Hourcade
Le théâtre de Dieu, dans le palais du Roi, Mansart créait une cathédrale, où officiaient tous les jours les prêtres de l’ordre de Saint Lazare, on s’agenouillait sur le marbre, et quelques dames bien nées apportaient pour se faire un « carreau » (coussin), mais il fallait aussi surveiller les tire-laines qui dérobaient les bourses. Patrick Hourcade
LE TROU DE LA SERRURE DE LA CHAPELLE ROYALE
« La messe là-bas », murmurait Claudel. Mais il n’a jamais imaginé d’y assister par le trou de la serrure ! » Philippe Hourcade
C’est le menuisier Gesnon qui pratiqua cette ouverture pour la serrure dans la porte qu’il avait fabriquée. La plupart du temps celle ci était ouverte ou juste rabattue. Il y eut bien une clé pour entrer dedans, mais elle ne servit pas souvent, et elle disparut même pendant deux siècles, et ce n’est que récemment qu’elle fut rendue au château. Patrick Hourcade
LA TRIBUNE DU ROI
D’ici, venu de son appartement tout proche, le Roi suivait les offices religieux sans avoir à descendre dans le chœur. Nous sommes bien dans une chapelle palatine. Philippe Hourcade
Le chat, si par dévotion il suivait le roi, devait, entre les balustres, avoir la même vision plongeante sur les fidèles courtisans occupés à la prière. Aujourd’hui, la tribune sert aux concerts, mais pour l’heure, la chapelle était muette. Patrick Hourcade
L’ORATOIRE DE LA POMPADOUR
« Le sait-on encore aujourd’hui ? En haut et à gauche de cette fenêtre se tenait la Marquise dans son oratoire offert par le Roi, quand elle venait assister aux offices de la cour sans être vue. » Philippe Hourcade
Pourquoi cette grande fenêtre sur le bas côté de la chapelle du roi ? Elle ne semble éclairer qu’un vide inconnu du grand public. C’était donc là que se cachait la maîtresse du monarque qui ne pouvait se montrer pieuse. Patrick Hourcade
LE MONSTRE DES MERS
«Lambert Sigisbert Adam sculpsit, ou G. Adam l’aîné, selon l’abbé Delagrive. Bon, mais dîtes-moi, c’est quoi, cette chose hirsute ? » Philippe Hourcade
Le sculpteur formé à Rome, triomphait dans l’art des fontaines. Au Nord du château, an centre du groupe entre le dieu des mers et la belle Amphitrite déesse des eaux salées, il place ce monstre géant au centre de l’univers marin, représentant tous les océans. Patrick Hourcade
BACCHUS
« On ne le voit pas, au bout de cette perspective à la Cotelle, veille le dieu aux pampres, avec ses putti batifolants. Quant à cette lumière là-bas, elle n’est pas de chez nous. » Philippe Hourcade
À Versailles Le Nôtre fut maître des lieux, des allées rayonnent pour guider le regard jusqu’aux symboles. L’automne avec son dieu ivrogne attendait bien le Roi. Mais le comble pour l’ivresse est bien de viser droit.
Patrick Hourcade
LA BATAILLE DU DRAGON
« Ce chamaillis d’ombres, en principe, nous représente un fameux combat mythique entre Apollon et le Python, les forces de la Lumière contre le Chaos. Selon une lecture érudite, bien sûr, que notre mémoire retient encore. » Philippe Hourcade
Le soleil allait combattre au nord un méchant dragon, des enfants sont armés pour la victoire, des oiseaux et des poissons s’agitent en tout sens. Mais quand le soleil dort, la bataille continue de plus belle. Patrick Hourcade
NEPTUNE
« Rêvons : le bassin d’agrément métamorphosé en sublime océan, empire de Neptune, avec ses nymphes et ses monstres. A cette heure, le dieu au trident est comme alarmé de cette lumière au loin. Et derrière lui, toujours la chose hirsute et menaçante. » Philippe Hourcade
Louis XV finit ici ce que Louis XIV n’avait pas imaginé, le sculpteur connaissait l’Italie et ses fontaines baroques sur ce propos. Ainsi le dieu des mers s’imposa au nord avec près de cent jets d’eau. Patrick Hourcade
LA COLONNADE
« Le Nôtre répondit au Roi, à propos du lieu, rapporte Saint-Simon: « Eh bien Sire, que voulez-vous que je vous dise ? D’un maçon vous avez fait un jardinier (c’était Mansart), il vous a donné un plat de son métier ». Mais lui-même, qu’aurait-il imaginé à la place de ce superbe théâtre circulaire ? » Philippe Hourcade
Des colonnes et des arcades pour créer un théâtre d’eau pour le Roi. Mais la nuit l’eau ne joue plus dans la colonnade, et le ciel n’en finit pas de changer dans ce rond à l’infini. Patrick Hourcade
LE THÉÂTRE DE LA REINE
« La salle suffit au plaisir des sens quand le rideau de la scène est fermé. Et si dans le noir, l’oeil scrute et peine à en percevoir la décoration, il y a le toucher, capable de rendre sensible la belle qualité du travail de ces consoles et de ces balustres de carton bouilli sculpté. » Philippe Hourcade
Sous la courbe envolée du théâtre précieux, sa voix courait sur les ors, on entendait la Reine qui chantait pour ses amis fidèles, ignorante pour lors des terreurs du lendemain. Patrick Hourcade
LE BUFFET D’EAU
« Tiens, un buffet d’eau ! Autrefois à Versailles au nord, il y en avait davantage : deux dans le bosquet de l’Arc de triomphe, deux autres dans celui du Marais. Ne reste que celui-là attendant sa prochaine renaissance. » Philippe Hourcade
Meuble baroque, théâtre muet de marbre et de bronze, qui n’attend que les eaux qui viendront jouer dans les gueules de ses monstres. Patrick Hourcade
BANC
« Se distinguant à peine de la charmille environnante, ce banc solitaire vaut bien qu’on s’y installe, parfaitement adapté aux proportions du corps, longueur des jambes, hauteur du buste. Tout repose et se détend. » Philippe Hourcade
Le banc de Trianon, corbeille géante, dort au fond du parc, qui de nuit surprendra le visiteur. Je le fis voler un jour pour l’emmener au château, mais il revint ici pour son réel repos. Patrick Hourcade
LE GENÉVRIER DU PETIT TRIANON
« Les arbres ont besoin d’obscurité parfaite pour dormir et se reconstituer, nous apprend un expert moderne. En a-t-il de la chance, ce genévrier virginien étendu sur le gazon face au petit château là-bas !
» Philippe Hourcade
J’ai donc fini par trouver la cachette du chat, sous le vieil arbre couché par la tempête. La mémoire de ce bois courbé ne peut se souvenir de la Reine, mais ses branches, alanguies dans la nuit, veillent sur l’animal pour voir s’il ne voit rien venir. Patrick Hourcade
LA GROTTE
« Que cherchait donc la Reine dans ce chaos et dans le noir, et sous cet if échevelé ? Les frissons délicieux de l’horreur ? D’inavouables sensations ? L’endroit ne m’a pas paru d’un confort apaisant. » Philippe Hourcade
C’est du Wagner en tout petit, les Niebelungen n’ont rien à faire ici, mais Rousseau est bien dépassé. Le théâtre des rocailles amoncelées n’est fait que pour des conversations très passagères et peut-être d’écervelés. Patrick Hourcade
LE GRAND TRIANON
« Le cliché a figé le mouvement. Un vent frisquet faisait lentement osciller les lanternes suspendues du péristyle vidé de ses acteurs. Aucun n’est attendu, mais qui sait ? Le Roi, peut-être, sortant de chez lui. » Philippe Hourcade
Une galerie, oui, mais sans glace et à l’air, pour un roi qui aimait que tout soit ouvert. Et puis ces marbres chantent encore un opéra, on ne peut entendre la musique, mais le décor est bien là. Patrick Hourcade
LA NYMPHE ÉVEILLÉE
«Evanoui le beau projet sculpté qu’avait projeté Le Brun l’humaniste. Ses statues allégoriques sont bien dans le parc, mais ailleurs. D’autres, fleuves et rivières étendus sur leurs socles sont là, autour du Parterre d’Eau. Et la nymphe n’est pas solitaire ici, qui veille encore sur le vaste miroir et paraît méditer. » Philippe Hourcade
Pourquoi Nymphe m’as-tu interpelé ? Dans le passé, tu avais tout vu et tout entendu, des rois et des reines à qui tu avais plu. Tu fréquentes certes ici le monde, mais la nuit, peut-être que tu t’ennuis ? Patrick Hourcade
REFLETS
« On aura deviné dans ce miroir d’eau troublée les lueurs de la façade du palais endormi, régulièrement disposées. Tel était le dessein de Le Nôtre l’architecte des jardins, et la vision n’a pas changé depuis le temps des rois. » Philippe Hourcade
Trop de lumières, et trop de vies, je fuyais la fête et le bruit, mais je ne pus détacher mes yeux de ce ballet des fées du passé, de ces touches animées qui dansaient sur le grand bassin noir.
LE SECRET DU BELVÉDÈRE
« Démeublé, silencieux et désert, le salon de musique s’est laissé envahir par les arbres environnants qu’il entraîne dans un tour de manège non prévu. » Philippe Hourcade
L’œil collé à la vitre du pavillon je cherchais à voir les décors d’une autre vie, la nature s’installait dans les marbres de la nuit, voici ce que je vis. Patrick Hourcade
LE BELVÉDÈRE
« Evanouie la fête avec ses invités débarqués de toute l’Europe, éteintes les illuminations immortalisées par Châtelet, silencieuse la musique de Gluck ou de Grétry. L’œil et l’ouïe en sont réduits à leurs seules ressources, qui sont plus efficientes qu’on ne croit. » Philippe Hourcade
Plaisir miniature d’une reine évanouie, loin du grand château et des grandes fêtes, pavillon d’un conte de la lune qui cherche ici l’oubli. Patrick Hourcade
LE REFLET DU BELVÉDÈRE
« Empereur venu de Vienne, comte et comtesse du Nord, sont rentrés chez eux depuis longtemps. C’est maintenant le monde à l’envers, et le surgissement des fantasmes de la nuit mentale. » Philippe Hourcade
L’eau calme et sage du petit bassin est envahie des reflets des arbres noirs de la nuit, enfermant comme un trésor le célèbre pavillon qui resurgit. Patrick Hourcade
LE PAVILLON DE L’ENCELADE
« Encore un théâtre ! La grille au fond est close, bientôt ouverte sur un promenoir circulaire, des cabinets propres au tête à tête, une spectaculaire scène mythologique. » Philippe Hourcade
Louis XIV aimait pour ses jardins aménager des surprises, à condition qu’elles soient dignement présentées. L’allée bien taillée sert ici d’introduction au pavillon d’entrée du bosquet dramatique, dans une mise en scène bien réglée. Patrick Hourcade
TREILLAGES
« Toujours à propos des ressources insoupçonnées de l’œil. L’obscure clarté de la nuit permet de distinguer et de remarquer avec précision des détails et des contrastes autrement imperceptibles, bien mieux que la lumière du jour qui nous rend moins attentifs à ces minuties. » Philippe Hourcade
Une construction qui joue sur les vides et les articulations géométriques, de la courbe à la droite, d’un barreau droit à une croisée de barreaux, le mécanisme se met en place pour une architecture dont Eiffel se souviendra, plus tard pour faire sa tour, quand il croisera le fer. Patrick Hourcade
GRAPHISME
« Contre-plongée et perspective théâtrale s’échangent et se confondent. Pendant la nuit, l’imagination travaille davantage. » Philippe Hourcade
Sur la longueur, la largeur et la profondeur, le vide mesure ici chaque séquence du dôme de bois treillagé qui se révèle comme une œuvre optiquement dessiné à l’œil médusé. Patrick Hourcade
ENCELADE
« Monstruosité, chaos : c’est cela aussi, Versailles. Vu de près, le géant pathétique empêtré sous ses gros cailloux, me fait songer aux jardins de l’Italie. Le rebelle vaincu par Jupiter se lamente avec emphase : « Je suis ce Géant malheureux. Qui sous le mont Etna vomit d’horribles feux… », sur un air de Michel Richard de La Lande. » Philippe Hourcade
Il hurla, on ne l’entendit pas, il vomit peut être, mais nul ne le vit, criant en silence sa révolte domptée, l’insoumis noie ici son délire dans la nuit. Patrick Hourcade
LE GRAND CANAL
« Loin de la foule des statues, des humains et du palais là-bas réduit à un trait lumineux, l’étirement, la dilatation de l’espace venteux fait mieux respirer le visiteur nocturne, et l’inspire. La démesure du dessein impressionne. Le Nôtre l’a voulu ainsi, et le Roi l’a approuvé. » Philippe Hourcade
Rien : de l’air, de l’eau, les arbres rangés au loin comme un rideau, qui s’ouvre sur un palais dans l’extrême lointain. L’architecte jardinier, ignora alors la pierre et les végétaux, domina l’architecture et la nature, et un ciel immense mesura le vide que Le Nôtre avait crée. C’est là le plus beau palais du monde. Patrick Hourcade
APOLLON
« C’est connu : à Versailles Apollon le dieu solaire se lève au couchant. Mais à quelle heure sommes-nous à présent ? » Philippe Hourcade
Quand le soleil s’est couché, Apollon s’est levé, dans sa course de lumière, aux ors fatigués des siècles sans fin, il révèle la beauté et la gloire dont le Roi s’est épris. Mais la nuit, ici, tout est gris, et le fougueux reste silencieux. Patrick Hourcade
RÉFLECTIONS, RÉFLEXIONS
« Pense-t-on encore aux prouesses de nos artisans d’autrefois ? A cette heure, la nuit peine à absorber les éclats de miroir et de cristal, qui luisent comme les vestiges veillant encore au fond de notre mémoire. » Philippe Hourcade
Miroir, mon beau miroir, que de visages as-tu vus, des plus célèbres au plus inconnus. Et puis quand la nuit fut venue, tu jouas à la folie des palais enchantés. Patrick Hourcade
LA GALERIE DES GLACES
« Les poètes autrefois y rêvaient de visites contemplatives et d’entretiens érudits. Mais ce fut un lieu de passage commode reliant les deux ailes du palais : pensons, par exemple, à la duchesse de Bourgogne quittant sa chambre au sud pour se presser vers la chapelle au nord, tout en tâchant de persuader madame de Saint-Simon d’accepter une charge de dame d’honneur. » Philippe Hourcade
Ce n’est pas la plus longue, mais sans doute la plus célèbre. Du château c’était la plus belle avenue, là où il fallait être vu. Son rythme est savant, son histoire est un peu le miroir de la France. Patrick Hourcade
LA PORTE INDISCRÈTE
« Encore la Galerie. Objets et reflets sont ici interchangeables et indiscernables. Cette nuit-là, le Dauphin vient de mourir, la cour erre ici, qui pleure ou médite. Une dame crie : un bras nu a surgi d’un lit de veille, puis la face ahurie d’un garde suisse contemplant l’assistance surprise en robes de chambre, qui se rendort sans en savoir davantage. » Philippe Hourcade
Le courtisan ne vit pas que depuis le salon de l’Œil de Bœuf le roi le regardait. La porte, drapée elle aussi de miroir, se fondait dans les glaces de la Galerie, elle s’ouvrait et révélait au souverain ce que la cour complotait. Patrick Hourcade
LA CHAMBRE DU ROI
« Tout dort ici ? Non, un bougeoir veille au nord, peut-être dans le Cabinet du Conseil, dans celui des Perruques ou dans d’autres, propres aux commodités. » Philippe Hourcade
Les lourdes pentes des tentures brodées d’or, la nuit, étouffent les bruits indiscrets. Versailles jamais ne dort, les lumières glissent alors au plus près. Patrick Hourcade
LE LIT DU ROI
« Entr’ouvert le rideau de la scène : « Sire, voilà l’heure », vient dire le Premier Valet de la Chambre. Mais il y a beau temps que le cérémonial monarchique (lever ou coucher) ne se joue plus. » Philippe Hourcade
Un chat monta-t-il jamais sur cette couche royale ? Louis XV se fit une chambre ailleurs, mais respecta son arrière grand-père et ne voulut jamais changer le lit de place. Patrick Hourcade